C’est un jour important.
J’espère être bien préparée.
J’ai peu dormi. Heureusement, j’ai eu le privilège de prendre une bonne douche chaude, apaisante, autant que cela se peut dans les circonstances.
J’ai enfilé ma robe ceinturée, sobre, tout à fait de mise pour faire face à la justice.
M’y voici… je me tiens debout en toute humilité dans cette petite salle d’un cabinet privé.
À la fois fébrile et déterminée… je dépose ma main gauche solennellement sur un grand livre.
Quoique soumise, je dresse l’échine. Disposée à prêter serment, je lève ma main droite devant la juge trônant à deux mètres de moi.
- Jurez-vous de dire toute votre vérité, rien que votre vérité, juste votre vérité ? Dites « je le jure » !
- Je le jure !
- Jurez-vous de témoigner et de répondre aux questions en toute authenticité ? Dites « je le jure » !
- Je le jure !
Je m’harmonise à la juge dans ses moindres mouvements. Je la fixe du regard lorsqu’elle me fixe. Je détourne les yeux lorsqu’elle les détourne. Je me sens gamine face à une telle autorité. Une juge, c’est une reine ? Une mère ? Une déesse ? Je ne sais pas si elle m’impressionne ou m’intimide. Si je l’admire ou si j’en ai peur. Et si c’était tout cela à la fois ? Que prononcera-t-elle ? Que sera sa décision à ma requête de libération conditionnelle ? J’ai pourtant fait mon temps. Je suis restée des mois dans ma cellule partageant si peu avec le monde extérieur. De son air autoritaire soutenu d’une prestance que je jurerais bienveillante… elle me confronte.
- Pourquoi cette requête ?
- Pour que nous nous sentions moins seuls ! Pour que nous soyons plus libres. Pour que nous nous sentions mieux. Pour plus d’amour, plus d’amour encore !
- J’ai bien pris connaissance de votre dossier. Vos intentions sont nobles, me sermonne la magistrate. Toutefois, vous n’êtes pas sans savoir que les mots possèdent des pouvoirs non négligeables. Ils peuvent être grandioses, certes, mais ils peuvent aussi tordre le jugement et gonfler les mirages. Il y a actuellement beaucoup trop de mots qui circulent au service d’une agitation qui détourne des profondeurs. Pourquoi ajouter des mots alors que l’humain a tant besoin de silence ?
- Parce que les mots, Votre Éminence, sont passerelles. Parce que les mots sont issus du silence et savent ainsi le sentier qui ramène vers lui. Oui, les mots peuvent mener au silence tout comme un pont de pierre peut lier la ville à la campagne, tout comme la vitesse peut mener à la lenteur, tout comme l’acné donne envie d’une peau douce…
Stupéfaite, la juge me dévisage comme à la recherche de cicatrices cutanées. J’affiche un sourire niais alors que dans ma tête, j’hurle au sabotage. Pourquoi cette analogie purulente est-elle sortie de ma bouche ? J’ai tout gâché. Le temps se suspend. Je tremble.
D’un coup, toutes deux éclatons de rire, la Terre se remet à tourner. Je suis sauvée !
Nous reprenons un peu de sérieux afin de lui permettre de conclure. Elle reprend dès lors son apparence officielle.
- Je veux bien consentir à votre requête d’écriture. Toutefois, jurez-vous de respecter les règles de votre libération littéraire conditionnelle soit de ne pas entrer en contact avec l’élitisme spirituel, de ne pas consommer de substances dogmatiques, de ne pas conduire les mots en état de conscience altérée et de respecter le couvre-feu maximum de 711 mots par chronique ? Dites « je le jure » !
- Je le jure !
- Alors qu’il en soit ainsi, je vous autorise à écrire des chroniques au rythme de vos élans, mais sachez que je veillerai au respect de la grande destination de vos écrits, soit le quotidien de la Vie comme grand maitre de la connaissance de soi, de la voie spirituelle.
En un synchronisme parfait, nous nous honorons d’une révérence. Puis, j’étire le bras pour essuyer, de la manche de ma robe de chambre, une bavure séchée sur le miroir de ma salle de bain. Je ramasse à ma gauche sur le comptoir le livre de l’Autruche spirituelle qui ne veut pas mettre sa tête dans le sable. Je quitte la salle… de bain et me précipite à mon pupitre d’écriture.
Il y a de ces moments où de soi à Soi, un pacte est nécessaire.
À bientôt !
Jacinthe Paquette
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